Résilience


Comment (et pourquoi!) penser décrire son état, et donner des nouvelles de soi, dans des circonstances aussi difficiles, et aussi particulières qu’une rupture amoureuse? Je vais bien. J’assume. Je me remue. Je m’occupe à des choses utiles, très terre-à-terre. Il y a des fourmis chez moi, j’éradique!. J’essaie surtout de ne pas me replier sur moi, et de scléroser dans une douleur d’autant plus inutile qu’elle peut durer longtemps - trop longtemps, trop de temps perdu quand il s’agit de vivre malgré tout. J’essaie de ne pas répéter ce que je connais si bien pour l’avoir pratiqué trop souvent : une certaine complaisance, un certain contentement à ressentir, et à exprimer à répétition un chagrin dont personne n’est capable de nous débarrasser quand on ne veut rien entendre de ce qui le contredit. J’évite la compulsion. Quand on le sait, on a déjà un moyen d’agir à profit. C’est le temps où jamais de capitaliser sur soi. Bien sûr qu’il est important de parler, d’écrire, de communiquer avec les autres, y compris et surtout dans l’épreuve. On donne parfois un bon spectacle, une tragédie dont on renouvelle le genre, et d’autant plus passionnante qu’elle est bien racontée.

Les amis écoutent, bien évidemment, parfois compatissent, quelquefois suggèrent, parfois éclairent vraiment. Mais ils ne peuvent rien vivre en suppléance. Et ils décodent très vite, toujours, la servilité dans le malheur. C’est la raison pour laquelle je « prends sur moi », comme le disait ma mère, et que j’assume. J’espère tenir le coup. Je reste ouvert. Plus je vieillis, et plus je crois à la vie - curieux paradoxe. Je me respecte certainement davantage. Je me suis trop battu, depuis trop longtemps, pour que ça ne m’ait pas procuré quelques forces supplémentaires. Je les sens capables de tout, quand ça voudrait défaillir. Le plus étonnant, c’est que je fais, précisément ces jours-ci, d’étonnantes découvertes sur ce qui m’a le plus terrifié et le plus humilié, une confusion étrange, extrême, qui m’a longtemps fait croire que j’étais schizophrène. J’ai subitement traversé quelque chose - comment dire ça autrement ? Et j’ai compris. Il y a deux nuits de ça, j’ai longuement rêvé (rêvé!) à tous les détails de cette intelligence nouvelle, et je me disais (en rêve!): « Voilà bien la preuve que j’assimile ce que j’ai découvert, après tant d’années à mal formuler les choses, voilà bien la preuve que je guéris. »

Encore là, j’y vois la démonstration, incontestable, que l’inconscient fonctionne de lui-même, qu’il patiente longtemps avant de rencontrer les circonstances favorables pour se laisser tirer au clair. J’imagine que le cerveau est assez solide, toujours, pour se protéger, autant que possible, de ce qui pourrait le briser par une irruption trop brutale. La résistance est utile; elle est aussi tellement tenace qu’elle en devient fascinante - et c’est cette fascination qui sauve, parfois, quand on s’en étonne, du suicide.  J’écrirai bientôt sur ce qui a surgi de ma provenance. Il fallait simplement, pour libérer la chose, bien la concevoir et la dire correctement. En écrivant ces mots, je cherche à ne pasticher personne. C’est bien le cas: il fallait bien concevoir l’affaire, et la dire comme il le fallait. Quant à cette nuit, la seule chose qui m’importe, parce que je sais que j’ai des amis, réels ou virtuels, qui me lisent, et qui s’inquiètent peut-être de moi, c’est de faire savoir que, bien sûr, je survis. C’est la relation amoureuse qui est morte, pas moi. Je vais même y aller d’un lieu commun d’une navrante banalité : la vie continue, et je fais confiance. Ça me rappelle, tiens, que je dois arroser mes plantes, qui pour resplendir, ne demandent rien d’autre qu’un peu d’attention et de soin.